La clause de non-concurrence dans un contrat de vente d’entreprise au Québec : limites et jurisprudence récente
Dans le cadre de la vente d’une entreprise, la clause de non-concurrence est un élément clé permettant à l’acheteur de se protéger contre la concurrence future du vendeur. Cependant, au Québec, le Code civil encadre strictement cette clause, et la jurisprudence a continué d’en affiner les contours. Ce texte se concentre sur les limites de territoire, de durée et d’activités de cette clause, ainsi que sur les récentes décisions judiciaires québécoises qui apportent des précisions sur son application.
1. Les limites de territoire, de durée et d’activités
L’article 2089 du Code civil du Québec impose des restrictions pour les clauses de non-concurrence, spécifiant que celles-ci doivent être raisonnables en matière de territoire, de durée et d’activités afin de ne pas limiter indûment la liberté commerciale du vendeur. Une clause qui dépasse ces limites peut être invalidée ou modifiée par les tribunaux.
a. Le territoire
Le territoire doit être lié aux zones géographiques où l’entreprise exerçait ses activités avant la vente. Une clause couvrant un territoire trop vaste peut être jugée abusive.
Exemple récent : Dans l’affaire Bergeron c. Destination Mont Saint-Anne inc., 2021 QCCA 1202, la Cour d’appel du Québec a invalidé une clause couvrant un territoire national, estimant que la portée géographique était trop large comparée à l’ampleur réelle des activités commerciales de l’entreprise. Le tribunal a rappelé que la clause doit se limiter aux régions où l’entreprise était véritablement active.
b. La durée
La durée de la clause doit également être raisonnable. Les durées standard acceptées varient entre 1 à 3 ans, bien que dans certains cas, des durées plus longues soient jugées acceptables si elles sont justifiées par la nature de l’entreprise.
Exemple récent : Dans l’affaire 9337-2060 Québec inc. (Le Groupe Cordon Bleu) c. Groleau, 2020 QCCS 1309, la Cour supérieure a validé une clause de non-concurrence de 4 ans, expliquant que la durée était raisonnable étant donné la taille de l’entreprise et la nature des relations commerciales établies. Cette décision montre que les tribunaux peuvent accepter des périodes plus longues si elles sont proportionnelles aux intérêts en jeu.
c. Les activités visées
Les activités visées doivent être clairement définies et correspondre aux activités réelles de l’entreprise au moment de la vente. Une interdiction trop générale pourrait être considérée comme excessive.
Exemple récent : Dans Nolinor Aviation inc. c. Charbonneau, 2022 QCCS 2945, la Cour supérieure du Québec a statué que la clause de non-concurrence devait être limitée aux activités spécifiques de l’entreprise en question. La Cour a rejeté une clause qui interdisait des activités dans des secteurs non directement reliés à ceux exercés par l’entreprise au moment de la vente, la jugeant trop large.
2. Les critères de validité d’une clause de non-concurrence
Les tribunaux québécois continuent de baser leur analyse sur le principe de proportionnalité, veillant à ce que la clause ne soit pas abusive tout en protégeant les intérêts légitimes de l’acheteur.
a. Raison d’être de la clause
Les tribunaux analysent si la clause est nécessaire pour protéger l’acheteur contre une concurrence injuste. Dans l’affaire Imprimerie St-Joseph (Médiamobile) inc. c. Communications Nadeau inc., 2022 QCCS 3098, la Cour supérieure a confirmé qu’une clause de non-concurrence était justifiée dans la mesure où le vendeur détenait des informations commerciales sensibles pouvant nuire à l’acheteur s’il recommençait une activité concurrente dans un court délai.
b. Proportionnalité
La proportionnalité entre les objectifs de protection et la liberté de commerce du vendeur reste un facteur essentiel. Si la clause est jugée disproportionnée, elle peut être partiellement ou totalement invalidée. Par exemple, dans Roy c. Industrielle Alliance, 2023 QCCS 1063, la Cour supérieure a limité une clause de non-concurrence trop large, réduisant la portée géographique et la durée initialement fixées.
3. Conséquences des clauses déraisonnables
Si une clause de non-concurrence est jugée déraisonnable par les tribunaux, plusieurs conséquences peuvent en découler :
- Invalidation de la clause : Si la clause est manifestement excessive, le tribunal peut l’invalider en totalité.
- Réduction de la portée de la clause : Dans certains cas, le tribunal pourrait modifier la durée ou la portée géographique pour rendre la clause plus raisonnable.
Les juges québécois se montrent particulièrement réticents à « réécrire » les clauses de manière significative, préférant invalider les clauses abusives plutôt que de les ajuster.
4. Recours en cas de violation
Si une clause de non-concurrence valide est violée, l’acheteur peut demander une injonction pour faire cesser les activités concurrentes. Il peut également obtenir des dommages-intérêts si la violation a causé un préjudice financier prouvé. Par exemple, dans l’affaire Agence de placement Syndiqué inc. c. Brochu, 2021 QCCA 832, la Cour d’appel a confirmé une injonction interdisant à l’ancien propriétaire de concurrencer l’entreprise après avoir violé une clause de non-concurrence de 2 ans, ce qui avait causé une perte de revenus substantielle pour l’acheteur.
Conclusion
La clause de non-concurrence dans un contrat de vente d’entreprise au Québec doit respecter les critères de territoire, de durée et d’activités pour être valide, comme le précisent le Code civil du Québec et la jurisprudence récente. Des décisions telles que Bergeron c. Destination Mont Saint-Anne inc. (2021), Le Groupe Cordon Bleu c. Groleau (2020) et Nolinor Aviation inc. c. Charbonneau (2022) démontrent que les tribunaux québécois appliquent rigoureusement ces critères pour s’assurer que les clauses sont proportionnées et justes. Pour éviter des litiges ou des invalidations, il est essentiel de rédiger ces clauses avec soin et de consulter un avocat spécialisé.